- LEVI (P.)
- LEVI (P.)LEVI PRIMO (1919-1987)Voix singulière dans la littérature italienne que celle de Primo Levi, né à Turin en 1919, où il soutiendra brillamment en 1941 sa thèse en chimie. Cette voix se fait entendre pour la première fois en 1947, quand un petit éditeur accepte de publier le récit d’un jeune rescapé d’Auschwitz, Se questo è un uomo (Si c’est un homme ). Avec une sobriété et une précision percutantes, Primo Levi relate son arrestation, le 13 décembre 1943, dans les montagnes du Val d’Aoste où il participait à la résistance, puis sa déportation et sa captivité dans un camp de concentration. Levi doit sa survie, entre autres, à sa formation de chimiste: pendant l’hiver de 1944 à 1945, il a la chance inouïe de travailler dans le laboratoire de la Buna, usine de caoutchouc près de Monowitz (Auschwitz III). Autre hasard, la maladie l’empêche d’être évacué de Buchenwald, en janvier 1945, avec vingt mille autres prisonniers qui disparurent presque tous. Libéré par les troupes soviétiques, Primo Levi erre durant neuf mois à travers l’Europe du Nord avant de rentrer en Italie. Cette hallucinante odyssée aux marges du monde civilisé nous est racontée dans La Trêve (La Tregua , 1963).Raconter a d’abord pour Levi une vertu libératrice. C’est témoigner et faire réfléchir pour que naisse chez le lecteur le cri de l’horreur et du refus. La vocation de l’écrivain est indissociable du désastre qui ravive les attaches avec le passé. En même temps que La Trêve , Levi écrit Storie naturali (Histoires naturelles , 1966), quinze récits-«divertissements», publiés sous le pseudonyme de Damiano Malabaila. Vizio di forma (Vice de forme ), un autre recueil de vingt récits, paraît en 1971. Ce sont des fables, des apologues, des «pièges moraux» qui se développent autour d’une anomalie, une aberration confinant au monstrueux, un vice de forme qui, ayant pris un caractère général, paraît «naturel». L’unité de l’œuvre est évidente. Le ton de sa voix, parfois ironique, souvent plein de tristesse, toujours chaleureux et mesuré, crée un contraste saisissant avec l’atrocité des événements rapportés. Aucune trace de haine, chez lui, mais la seule indignation qui entraîne un jugement moral et relève de la raison. À preuve, dans Le Système périodique (Il Sistemo periodico , 1975), le récit de sa rencontre épistolaire, bien des années plus tard, avec l’un des inspecteurs de la Buna — ex-S.A. — dont le prisonnier Levi dépendait pour son travail. Le désir cauchemardesque de revanche qui a hanté ses nuits se dissipe devant le constat effarant de l’inanité de la vengeance. L’image de la mauvaise conscience de cet Allemand respectable, englué dans ses justifications, vaut toutes les dénonciations. Autre aspect de cette unité de l’œuvre, la démarche qui consiste à donner la parole à qui ne l’a pas: aux plantes qui dénoncent les dégâts perpétrés par l’homme, comme au monteur mécanique du roman, La Clé à molette (La Chiave a stella , 1978). Dans son dernier livre, Les Naufragés et les Rescapés (I Sommersi e i salvati , 1986), Primo Levi poursuit la réflexion et le dialogue avec le lecteur sur l’univers concentrationnaire, ou plutôt sur le seuil de la violence qui laisserait encore une place, même infime, à la résistance morale de l’individu.On retrouve dans La Clé à molette un thème central de l’écrivain, présent dès Si c’est un homme , à savoir celui de la langue: déchiffrer les ordres et les interdits est la première condition de la survie. De même, dans Se non ora, quando? (Maintenant ou jamais , 1982), Levi s’intéresse à la langue comme manière d’appréhender l’enchaînement des choses, afin de donner plus de précision au cadre historique de son récit.
Encyclopédie Universelle. 2012.